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Quand les pensées gelaient dans l'air : et autres histoires
Dans cet essai sur l'esthétique japonaise, publié en 1933, l'écrivain défend une esthétique de la pénombre comme réaction à l'esthétique occidentale où tout est éclairé. Il revendique la patine des objets en opposition à la manière lisse de l'Occident. Electre 2015
lecture très frais, intérieur impeccable
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Jun'ichirō Tanizaki(谷崎 潤一郎, Tanizaki Jun'ichirō?) est un écrivain japonais né le et mort le à Tokyo. Son œuvre révèle une sensibilité frémissante aux passions propres à la nature humaine et une curiosité illimitée des styles et des expressions littéraires.
Jun'ichirō Tanizaki est né en 1886 dans une riche famille marchande d'un vieux quartier de Tōkyō. La maison Tanizaki jouissait à l’époque d’une prospérité remarquable grâce à l’esprit d’entreprise du grand-père du futur écrivain, Kyūemon Tanizaki.
Cet homme adopta et prit pour gendres deux garçons de la famille Ezawa, grossiste en saké, autrefois très fortunée. Il maria sa fille aînée Hana au deuxième fils Kyūbei. Sa fille cadette épousera le troisième fils Kuragorō et donnera naissance à un garçon, Jun'ichirō Tanizaki. Il sera l’aîné de sept enfants, trois filles et quatre garçons.
Choyé au sein de cette grande famille, Jun'ichirō passe plusieurs années de bonheur auprès de sa mère, réputée pour sa beauté, et de sa vieille nourrice affectueuse. Son père n’avait pas une personnalité très forte, Jun'ichirō évoquera l’image d’un homme faible de caractère, incapable de s’adapter à une société japonaise en pleine mutation. Sa première enfance se déroulera dans une ambiance harmonieuse sur le plan affectif et matériel.
De multiples activités populaires, les fêtes traditionnelles de quartiers et le spectacle de kabuki rythmaient la vie des Tanizaki ; ces manifestations de la culture ancestrale laisseront des impressions profondes chez le jeune Jun'ichirō. La bonne tradition d’une famille marchande consistait à former ses enfants dans l’apprentissage pratique du commerce. Rien donc ne le prédestinait à être écrivain.
Le grand-père maternel meurt en 1888. S’amorce un inéluctable déclin familial qu’il ressentira avec acuité. En 1894, la famille doit déménager dans une maison plus que modeste. Malgré d’excellents résultats, sa formation scolaire se poursuit avec beaucoup de difficultés sur le plan pécuniaire. Il se trouve contraint d’aller vivre dans une riche famille. Engagé pour donner des leçons particulières aux enfants, il comprendra vite qu’il est traité en réalité comme un domestique. Au bout de cinq ans, il se voit renvoyé lorsque sa liaison avec une jeune femme, employée par la même famille, est dévoilée.
Le sentiment de son humiliation tourmente sérieusement l’adolescent qui ne manque pas d’ambition. C’est durant cette période que naît son amour pour la littérature. L’heureuse rencontre avec Inaba Seikichi, enseignant féru de belles lettres chinoises et japonaises ainsi que de pensée bouddhique, lui permet d’acquérir une maturité littéraire et intellectuelle précoce.
Deux orientations se dessinent dans ses premiers textes : création et information. Plusieurs articles montrent son intérêt pour le genre du reportage. Vers 1910, il projettera même de travailler comme journaliste.
Mais sa passion pour la création littéraire prédomine. Courts récits romanesques, dialogues de pièces de théâtre, essais, poèmes traditionnels à forme fixe en japonais classique ou en chinois classique, poèmes en japonais moderne ou en nouveau style poétique : ce qui frappe, c’est sa gourmandise linguistique et sa curiosité des différents genres et styles. Durant cette dernière période du XIXe siècle, la langue japonaise elle-même se trouvait en pleine évolution et plusieurs formes d’écriture coexistaient.
En 1908, Tanizaki s’inscrit au département de littérature japonaise à la prestigieuse université impériale de Tokyo. Sa décision est prise : il deviendra écrivain. Ce choix est lourd de conséquences pour le fils aîné d’une famille commerçante en déclin qui n’attendait que la réussite professionnelle du premier garçon. Le problème pèsera durablement sur Jun'ichirō.
La naissance de l’écrivain se fait attendre. Ses premières tentatives de faire publier ses œuvres dans des revues reconnues échouent. La dépression nerveuse ne tarde pas à se manifester chez le jeune homme déçu. Enfin, en 1910, le numéro inaugural de la revue Shinshichō(新思潮?, « nouveaux courants de pensée ») accepte sa pièce de théâtre Naissance, et publie également un essai critique sur un roman de Sōseki Natsume. Plusieurs œuvres se succèdent : Le Tatouage, Le Kilin. En 1911, la revue Subaru lui ouvre ses pages et publie Shōnen (Les Jeunes Garçons).
Tanizaki est frappé pour la première fois par la censure au nom des bonnes mœurs. La revue Mita Bungaku qui publie son texte Hyofu (Tourbillon) est interdite à la vente. Son récit étudie la question du désir sexuel chez les jeunes. Tanizaki sera désormais étroitement surveillé et nombre de ses œuvres connaîtront le même sort.
La consécration arrive de façon éclatante par le biais d’un article élogieux de Kafū Nagai dans la revue Mita Bungaku en novembre 1911. La publication d’un premier recueil confirme la naissance d’un véritable écrivain.
Dans les années 1910-1911, le roman moderne japonais est en pleine effervescence. De très grands écrivains sont en activité : Ōgai Mori, Sōseki Natsume, Kafū Nagai, Kyōka Izumi ou Tōson Shimazaki. Plusieurs jeunes écrivains apparaissent : Naoya Shiga et Saneatsu Mushanokōji.
Quelle est l’originalité de la tonalité de l’œuvre de Tanizaki ? Il accorde une importance primordiale au respect de la nature humaine et à sa représentation vraisemblable. À travers sa singulière sensibilité, il découvre dans la nature humaine des choses troublantes. Il les regarde avec étonnement ou émerveillement, sans les juger. Il se trouve au degré zéro du moraliste, contrairement à ses contemporains fortement influencés par le confucianisme moralisateur.
Considéré comme un écrivain « de génie », le jeune Tanizaki voit s’ouvrir de nouvelles perspectives dans les années 1912-1913. Deux quotidiens importants publient ses romans en feuilleton, Atsumono (Potage bien chaud) et Konjiki no shi (Une mort dorée). Le jeune auteur est entraîné dans le tourbillon du monde de l’édition et maintiendra une cadence de production littéraire très élevée pour conserver sa place. Un succès aussi fulgurant transforme la vie de Tanizaki qui veut mener une vie d’artiste en toute liberté, en dehors des contraintes familiales et sociales. Il n’a pas de domicile fixe et vit dans le monde des plaisirs, guidé par ses pulsions intérieures. Malgré sa vie erratique, il publie en deux ans et demi dix-huit ouvrages et fait paraître cinq recueils de ses œuvres ! Ces ouvrages se caractérisent par une surexcitation frénétique qui frôle l’état de névrose.
Le monde tanizakien tourne autour de deux pôles : séduction et menace de mort. Le démonbouddhique, Māra, terme qui signifie étymologiquement « celui qui tue » est accompagné d’une légion de démons comme Désir, Haine, Faim et Soif, Attachement, Paresse, Sommeil, Peur et Suspicion. Tous ces vices apparaîtront dans l’œuvre de Tanizaki non pas comme des manifestations diaboliques mais comme des éléments de la nature humaine. On remarquera trois techniques dans la construction de cet univers. En premier lieu, l’auteur isole un élément particulier sur un plan matériel ou psychologique. Ensuite, il lui donne une importance démesurée. Séparé de l’ensemble et grossi exagérément, cet élément sort du système de valeurs ordinaires et prend enfin une signification insoupçonnée.
Jun'ichirō Tanizaki se marie en mai 1915 à l'âge de 28 ans avec Chiyo Ishikawa, une geisha âgée de 19 ans. Le couple s’installe dans un quartier populaire et une fille, Ayuko, naît en mars 1916. Il se rend très vite compte que la personnalité de son épouse « très femme au foyer » ne lui convient pas. Il supporte mal la présence de son enfant. De plus, la sœur cadette de son épouse, Seiko, s’installe chez eux. Cette jeune beauté ingénue et émancipée attire son beau-frère. S’ajoute à ce dangereux triangle, Haruo Satō, poète lyrique et excellent essayiste qui ne tarde pas à éprouver de la sympathie pour Chiyo… Ces démêlés sentimentaux, ponctués de ruptures et de réconciliations durent jusqu’à la parution dans un journal, au mois d’août 1930, d’une annonce rendant publique « la cession de l’épouse de Tanizaki » à Haruo Satō, non sans un parfum de scandale.
Tanizaki produit à cette époque un nombre considérable d’ouvrages de tonalités variées et élargit ses champs d’activités : roman, essai, théâtre mais aussi cinéma. Il puise son inspiration dans les contradictions entre son idéal artistique et les contraintes extérieures.
Les personnages de Tanizaki multiplient les meurtres sans scrupules, sans pitié et surtout sans remords. Infidélité, perfidie, trahison et félonie sont monnaie courante dans le monde de Tanizaki. Les formes traditionnelles du kabuki ou du théâtre populaire servent de paravent aux personnages, incarnations des valeurs immorales. Tandis que dans le théâtre de cruauté traditionnel, le dénouement voit toujours les « bons » triompher, les « mauvais » auront le dernier mot chez Tanizaki.
Le , un séisme majeur détruit la région de Tōkyō (tremblement de terre de Kantō). Tanizaki échappe de justesse à la mort. Il cherche un lieu de résidence provisoire dans la région ouest du Japon et déménage à maintes reprises. C’est par ce biais inattendu que l’écrivain se familiarisera avec les coutumes de la région de Kyōto-Ōsaka-Kobe qui porteront des fruits romanesques appréciables.
À partir de 1928, Tanizaki publie à une cadence surprenante des œuvres rénovatrices de grande qualité : Manji (Svastika, 1928), Le Goût des orties (1928), Rangiku monogatari (Chrysanthème dans la tourmente, 1930).
Tanizaki se remarie en 1931, à l’âge de 45 ans, avec Tomiko Furukawa, une jeune journaliste de 24 ans. Il exprime dans un essai sa satisfaction psychologique et physique que lui procure cette nouvelle vie conjugale.
Plusieurs chefs-d’œuvre confirment la plénitude du romancier : Yoshino kuzu (Yoshino, 1931), Mōmoko monogatari (Le Récit de l’aveugle, 1931), Bushūkōiwa (Histoire secrète du sire de Musashi, 1932).
Le narrateur joue un rôle déterminant dans les récits que Tanizaki écrit à cette époque. C’est lui qui tisse son histoire à l’aide de multiples sources, des photographies ou des témoignages tantôt historiques tantôt fabriqués par l’auteur. Il introduit le lecteur dans les replis des passions, des lieux du drame et de la profondeur des souvenirs.
Mais l’inspiratrice de ces récits, qui ont comme sujet l’adoration d’une femme, n’est pas sa jeune épouse. Il divorcera en 1935 et se remariera avec sa muse Matsuko Nezu. Ces tumultes ne freinent nullement sa création littéraire et il impressionne ses lecteurs par la qualité de ses ouvrages : Ashikari (Le Coupeur de roseaux, 1932), Shunkinshō (Shunkin, esquisse d’un portrait, 1933), Éloge de l'ombre (1933).
En 1936, Tanizaki publie Neko to Shōzō to futari no onna (Le Chat, son maître et ses deux maîtresses). Ce récit plein d’humour et de cocasserie met en vedette une chatte comme objet d’adoration. Le rire éclate comme une force libératrice et salutaire au moment où les bruits de botte font trembler le Japon et annoncent une période historique très sombre.
À 57 ans, Tanizaki se lance dans une entreprise de grande envergure : la traduction en japonais moderne d’un véritable monument de la littérature du XIe siècle, Genji monogatari (le Dit du Genji) qui évoque les nombreux aspects de la vie amoureuse. À sa publication en 1939-1941, Tanizaki fait face à une censure féroce. La montée de la conscience nationaliste porte surtout des ouvrages virils, héroïques et patriotiques. Son plus long ouvrage, Sasameyuki (Bruine de neige) est interdit de publication en juillet 1944. Les écrivains sont sommés de soutenir de leur plume la thèse de la guerre sainte en exaltant les valeurs traditionnelles. Dans cette situation, Tanizaki apparaît peu compromis tant est grand le décalage entre la mentalité dominante de l’époque et son univers romanesque.
La littérature japonaise va immédiatement retrouver sa vitalité. De nombreux jeunes écrivains, profondément marqués par la guerre, participent à la rénovation de la société. Loin de devenir sage avec l’âge, Tanizaki renoue avec ses tendances profondes et ses fantasmes puissants. Il affirme qu’au royaume des passions, l’homme est toujours en lutte. La Mère du général Shigemoto (1950) montre que la lucidité de l’esprit ne peut annihiler la jouissance poétique. Couvert de distinctions nationales, Tanizaki publie en 1956Kagi (La Clef, d'abord traduit en français sous le titre La Confession impudique) où il traite sans détours le problème du désir sexuel chez un couple. Les manœuvres psychologiques des personnages s’y révèlent extrêmement machiavéliques. L’opinion publique réagit vivement : s’agit-il d’une œuvre pornographique et immorale comme certains l’ont prétendu à l’époque ? Il publie en 1959 une œuvre pleine de suavité sur le thème de l’adoration de la mère Yume no ukihashi (Le Pont flottant des songes).
Son état de santé s’aggrave après 1960. Le désir de se délivrer de la souffrance physique et de l’obsession de la mort constitue le thème essentiel de l’œuvre tragicomique Journal d’un vieux fou (1961). Dans ses derniers essais, Jun'ichirō Tanizaki se souviendra de sa préférence pour la fiction romanesque plutôt que pour le récit autobiographique, à propos de la polémique qui l’avait opposé à son ami et écrivain, Ryūnosuke Akutagawa : « Je ne m’intéresse qu’aux mensonges », avait-il écrit.
De nombreux films de fiction ont été réalisés à partir des œuvres de Tanizaki, peu ou pas de documentaire. La série Un siècle d'écrivains de Bernard Rapp, produite par France 3, a cependant consacré un film à la biographie de cet auteur majeur de la littérature du XXe siècle. Tanizaki Junichiro est un film documentaire réalisé par Didier Deleskiewicz, coécrit avec A. Schilling produit par Noria Films diffusé par France 3 en 1998 puis rediffusé par France 5 et TV5.
Il y a mille milliards d'années, quand l'histoire n'était encore que la Pré Histoire, Ba Leine (qui ne s'appelait pas encore la baleine) avait deux pattes, vivait dans une flaque et se trouvait trop petite. Croco Dile (on ne disait pas encore crocodile) possédait une gueule aussi large et profonde qu'une soute de chalutier mais il ne savait pas y faire entrer les poissons. Bref ! Du pôle Nord en passant par l'Afrique, tout était à l'avenant, c'était le bazar ! Quand les pensées gelaient dans l'air est un recueil de huit histoires, [...] ou plutôt de huit pré-histoires. Leurs héros sont des animaux (un par pré-histoire). Ils posent sur le monde un regard inquiet et se demandent qui ils sont, où ils vont, etc. Forcément ! Ils n'en sont qu'au commencement ! Bref, même s'ils ont du vague à l'âme, avec toutes les questions qui leur trottent dans la tête, ces animaux préhistoriques sont au moins sûrs d'une chose : leurs cerveaux ne risquent pas d'être pris dans les glaces. Une théorie de l'évolution incongrue et fantaisiste à suivre dans Histoires de la Préhistoire. --Catherine Romat
Quatrième de couverture : La Poussière sur l'herbe se déroule entre 1944 et 1948, années terribles pour l'Italie que l'éphémère République de Salò plonge dans le désastre de la guerre civile. Au fil des chapitres, fragments d'histoires qui vont peu à peu se rejoindre, se détache un jeune partisan, Giorgio Donati, amoureux d'une riche héritière volage, Bianca Ghirardini. Il combat le long du Pô, de la région de Parme au delta, dans le « Triangle rouge » ou « Triangle de la mort », contre les derniers représentants de Salò, [...] les Brigadistes noirs. Cependant les personnages qui peuplent ce roman empêchent de croire à un manichéisme confortable : déserteurs, racaille, bandits évadés, tous s'emparent un peu au hasard des emblèmes politiques de la guerre ; communisme ou fascisme qu'importe, ils veulent leur part du butin, goûter au sang, à la vengeance, prolonger le désordre, la folie, les crimes impunis. De tout cela, un enfant est témoin, de ce déchaînement de violence mais aussi et c'est l'autre face du roman - du retour, à la Libération, des rites ancestraux, de la très riche mythologie du fleuve que sa mère lui explique, comme Amelia Donati, que ses amants ont surnommée Chimère, l'expliquera à Giorgio : les processions de Pâques, le rite du taureau qu'on égorge pour apaiser le Pô en furie. Le roman transcende alors le simple témoignage historique ; il atteint au mythe de la lutte fratricide par la mémoire vive de ces rites très anciens que les hommes perpétuent en pénitence de ce qu'ils sont devenus. Par là, il devient universel. Un très grand livre.