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Quatre poèmes de Verlaine et Rimbaud, c'est ce qu'abrite ce disque enregistré par Léo chez Barclay en 1964. Rimbaud est très certainement le poète le plus proche de Ferré. Même à presque 50 ans, l'artiste a quelque chose de Rimbaud ado. Certains diront même en voyant Léo tonner et syncoper "Les Assis", qu'il vit, au-delà du mimétisme, "Quelque chose qui s'apparente à la "métempsychose" des poètes". Parmi les oeuvres de Rimbaud sélectionnées ici : "Ma bohème", "Les Chercheuses de poux", "L'Étoile a pleuré rose"… [...] (certes, pas le plus populaire de Rimbaud, mais certainement le plus puissant). Du côté de Verlaine, Ferré a également privilégié les poèmes les plus troublants : "Mon rêve familier", "L'Espoir luit comme un brin de paille dans l'étable", "Clair de lune"… Arrangées par Jean-Michel Defaye, ces musiques de Léo sur les mots de Paul et Arthur donnent parfois le frisson, toujours l'émotion. --A.B.
Ayant réalisé plus d'une quarantaine d'albums originaux couvrant une période d'activité de 46 ans, Léo Ferré est à ce jour le plus prolifique auteur-compositeur-interprète de la chanson française. D'une culture musicale classique, il dirige à plusieurs reprises des orchestres symphoniques, en public ou à l'occasion d'enregistrements discographiques. Léo Ferré se revendiquait anarchiste et ce courant de pensée inspire grandement son œuvre.
Fils de Joseph Ferré, directeur du personnel du casino de Monte-Carlo, et de Marie Scotto, couturière d'origine italienne, il a une sœur, Lucienne, de deux ans son aînée[2].
Léo Ferré s'intéresse très tôt à la musique. À l’âge de sept ans, il intègre la chorale de la maîtrise de la cathédrale de Monaco comme soprano. Il découvre la polyphonie au contact des œuvres de Palestrina et de Tomás Luis de Victoria. Son oncle, Albert Scotto, ancien violoniste dans l'orchestre de Monte-Carlo et directeur du théâtre au Casino, le fait assister aux spectacles et répétitions qui ont lieu à l'opéra de Monte-Carlo, alors haut-lieu de la vie musicale internationale. Léo Ferré y entend le chanteur basse Fédor Chaliapine, y découvre Beethoven, qui l'émeut profondément, que ce soit sous la baguette d'Arturo Toscanini (Coriolan), ou à la radio (Cinquième symphonie). Mais c'est la présence du compositeur Maurice Ravel aux répétitions de L'Enfant et les Sortilèges qui l'impressionne le plus durablement[3].
À neuf ans, son père, un homme catholique et rigide, l'envoie en pensionnat au collège Saint-Charles de Bordighera tenu par les Frères des Écoles chrétiennes, en Italie. Il y reste en pension pendant huit longues années. Il racontera cette enfance solitaire et encagée dans une fiction autobiographique (Benoît Misère, 1970), relatant notamment être la victime de pratiques pédophiles du surveillant général[4]. Il y approfondit sa connaissance du solfège et joue du piston dans l'harmonie. À quatorze ans, il compose le Kyrie d'une messe à trois voix et une mélodie sur le poème Soleils couchants de Verlaine[N 1].
En cachette, il lit les auteurs considérés comme subversifs par les Frères : Voltaire, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé. Entendant prononcer le mot « anarchie », il ouvre un dictionnaire pour en trouver le sens (anarchie : « opposition à toute autorité d'où qu'elle vienne »). L'adolescent ne peut encore l'assumer, mais c'est décidé, il devienda anarchiste et subversif, révolté contre les stéréotypes du nouveau monde de la consommation et de la bêtise envahissante[5].
Il passe et obtient son baccalauréat de philosophie au lycée de Monaco. Son père refuse qu’il s’inscrive au Conservatoire de musique.
En 1935, il va à Paris pour y faire des études de droit et Sciences Po' (section administrative). François Mitterrand, son condisciple, est inscrit, lui, en section générale. Ils ont pu se croiser en 1937, l'année où le futur Président de la République quitte l'établissement, diplômé. Le cursus de Léo Ferré au sein de Science-Po dure 4 années (1935-1939) et non 3, comme il est d'usage, Léo redoublant une année. Peu intéressé par les événements politiques et leurs enjeux[N 2], il peaufine son apprentissage du piano en complet autodidacte en même temps qu'il mûrit son rapport à l'écriture. Fort d’un diplôme de sciences politiques, que l'établissement lui donne « par décision spéciale parce que mobilisé », le 30 octobre 1939, alors qu'il lui manque deux oraux à passer. Il revient à Monaco en 1939, avant d’être mobilisé cette même année. Il est affecté dans l'infanterie et, en mai 1940, devient aspirant à la tête de tirailleurs algériens. Sa vocation de compositeur s’affirme après sa démobilisation en août[6].
En 1940, à l'occasion du mariage de sa sœur, il écrit un Ave Maria pour orgue et violoncelle[N 3], et commence la mise en musique de chansons écrites par une amie. C’est avec ce répertoire qu’il se produit pour la première fois en public le 26 février 1941, au Théâtre des Beaux-arts de Monte-Carlo, sous le pseudonyme de Forlane (nom d'une danse, du XVIIe siècle, à deux temps[7]). Ses premiers textes personnels datent sans doute de cette année-là. À la fin d'un concert à Montpellier où se produit Charles Trenet, il lui présente trois de ses chansons, mais ce dernier lui conseille de ne pas les chanter lui-même et de se contenter d'écrire pour les autres.
En 1945, alors qu’il est toujours « fermier » et occasionnellement « homme à tout faire » à Radio Monte-Carlo, Léo Ferré rencontre Édith Piaf qui l’encourage à tenter sa chance à Paris.
Ils broyaient du noir, L'opéra du ciel, Suzon, sont à ce jour les plus vieux enregistrements connus de Léo Ferré. Ils ont été retrouvés par son fils, Mathieu Ferré, dans le bureau de son père. Il découvre une demi-douzaine d'enregistrements sur disque en « pyral », (constitué d'une feuille d'aluminium ou de zinc recouverte d'une laque). Mêlés à un amoncellement de partitions et de manuscrits, ils sont la plupart totalement inutilisables et seules trois chansons ont pu être « récupérées ». Si la date et les circonstances des enregistrements demeurent inconnues, tout laisse à croire que c'est vers le milieu des années 1940 que Ferré les grave[N 4].
En avril 1947, Ferré accepte de faire une tournée en Martinique, qui se révèle désastreuse et le conforte dans son aversion du voyage. Faute d'argent, il met six mois avant de revenir. À son retour, il commence à fréquenter le milieu des anarchistes espagnols, exilés du franquisme. Cela nourrira sa rêverie romantique de l'Espagne[N 5], dont « Le Bateau espagnol » et « Le Flamenco de Paris » seront les premières manifestations.
Cette période lui est psychologiquement et financièrement difficile. Pendant sept longues années il doit se contenter d’engagements aléatoires et épisodiques dans les caves à chansons de la capitale : Les Assassins, Aux Trois Mailletz, L'Écluse, La Rose rouge, Le Trou, le Quod Libet, ou encore le Milord l'Arsouille, ces trois derniers étant successivement dirigés par son ami Francis Claude, avec lequel il coécrit plusieurs chansons, dont « La Vie d'artiste » (1950), en écho à sa récente séparation d'avec Odette.
Le 3 mars 1947, Léo Ferré signe son premier contrat avec un éditeur musical : Le Chant du Monde, maison d'édition affiliée au parti communiste. Mis à part La Chanson du scaphandrier, Ferré n'enregistre aucune des chansons sur lesquelles il cède l'exclusivité des droits au Chant du monde[N 12], sans doute parce qu'il les envisage comme un corpus destiné aux interprètes. À ce stade Ferré n'est pas encore certain de vouloir chanter lui-même. Il le fait par nécessité, pour gagner sa vie.
En 1950, il rencontre Madeleine Rabereau au BarBac rue du Bac à Paris. « Je suis né par erreur en 1916 et une seconde fois le 6 janvier 1950 quand j’ai connu Madeleine »[9], celle dont il dira aussi « c'est l'autre bout de moi-même »[10]. La relation passionnée qui en naît donne une impulsion nouvelle à sa vie et sa carrière. Il fait de Madeleine sa muse, elle influe positivement sur la prise de confiance et le devenir charismatique de l'artiste sur scène, ainsi que sur certains choix artistiques (mise en scène et organisation du tour de chant, essentiellement). Elle lui fait enlever ses lunettes sur scène, laisser un peu son piano, modifier son habillement[9]. Ils vivent ensemble boulevard Pershing avec Annie Bizy, la fille de Madeleine.
En juin de la même année, Léo Ferré renouvelle son contrat avec Le Chant du Monde pour trois ans. Cette fois, le contrat concerne l'édition phonographique, Ferré va pouvoir enfin s'enregistrer. Dès le 26 juin, il est en studio et, s'accompagnant lui-même au piano, il enregistre quatorze chansons, dont douze sont diffusées en 78 tours[N 13].
Toujours en 1950, il part en Angleterre pour tenir le (petit) rôle d'un pianiste dans le film Cage of Gold (La Cage d'or), de Basil Dearden. C'est son unique apparition au cinéma.
En janvier 1951, Ferré enregistre pour la radio De sac et de cordes, un « récit lyrique » récité par Jean Gabin[N 14] et diffusé sur les ondes en février. Les Frères Jacques, Léo Noël, la cantatrice Laïla Ben Sedira ainsi que divers autres chanteurs et comédiens participent à cet enregistrement. C'est l'occasion pour Ferré de diriger pour la première fois un orchestre symphonique et des chœurs.
Depuis la fin 1947 Ferré produit et anime sur Paris Inter plusieurs cycles d'émissions consacrées à la musique classique. Dans Musique byzantine (1953-1954), il élargit son propos à des questions esthétiques sur la tonalité, l'exotisme, la mélodie, l'opéra, l'ennui, l'originalité ou la « musique guimauve »[11], et affirme avec une acuité polémique ses conceptions anti-modernes, épinglant tout à la fois l'assujettissement de la musique au mercantilisme industriel (« la musique de conserve »[12]) et la décadence intellectualiste en quoi consiste la recherche éperdue de procédés et de systèmes (« le terminus des dilettantes »[13]), incarnée à ses yeux par les avant-gardes, au premier rang desquelles la musique sérielle en plein essor. Un projet ultérieur d'émission ayant été refusé et le succès venant, Léo Ferré cesse de travailler à la radio.
En 1952, pour présenter le concours Verdi à La Scala de Milan, il écrit le livret et la musique d'un opéra qui transpose de manière grinçante et très noire ses récentes années de galère : La Vie d'artiste[N 15]. Il semble qu'il n'y ait pas tellement tenu, abandonnant très vite cet « exercice »[14] pour d'autres projets. Il en tirera néanmoins la chanson La Chemise rouge ainsi que la matière de la chanson Miséria, intégrées toutes deux à son futur Opéra du pauvre (1983), et plus tardivement la chanson Vison l'éditeur (1990). Divorcé d'Odette le samedi 16 décembre 1950[15], il épouse Madeleine en 1952.
En 1953 Léo Ferré rejoint la maison de disques Odéon. Le Chant du Monde lui rappelle qu'il ne s'est pas acquitté du nombre de chansons à leur fournir stipulé dans son contrat. Aussi Ferré retourne-t-il en studio pour leur compte, choisissant de ré-enregistrer toujours au piano mais dans de meilleures conditions techniques onze des douze titres précédemment diffusés en 1950 (Le Temps des roses rouges est écartée, elle aurait été jugée « anti-communiste »[16] par la maison de disque)[17]. Ces sessions donnent naissance au 33 tours 25 cm nommé Chansons de Léo Ferré, qui paraît début 1954.
En avril 1953, Léo Ferré commence les premières séances studio pour la firme Odéon, qui voit paraître le 33 tours 25 cmParis canaille. Ferré y chante pour la première fois Guillaume Apollinaire avec Le Pont Mirabeau. Après avoir été refusé par Yves Montand, Les frères Jacques et Mouloudji, la chanson Paris canaille chantée par Catherine Sauvage est un succès. Pour Ferré c'est la fin de la précarité, les interprètes qui l'ignoraient viennent à lui. Il met à profit cette bouffée d’oxygène pour se consacrer à la composition d'un oratorio sur La Chanson du mal-aimé, (il lui consacra plus d'un an de travail, de mars 1952 à avril 1953), vaste poème de Guillaume Apollinaire, dont le recueil Alcools exerce une influence majeure sur sa propre écriture poétique.
En décembre, Léo Ferré chante à « L'Arlequin ». Le Prince Rainier de Monaco est des spectateurs, il lui propose de créer à l'Opéra de Monte-Carlo, La Chanson du mal-aimé.
L'œuvre, pour quatre chanteurs lyriques, est créée sous la baguette du compositeur le 29 avril 1954 à l'Opéra de Monte-Carlo. La Symphonie interrompue, que Léo Ferré compose en trois mois[18], complète le programme. Une captation radiophonique de cette unique représentation est réalisée et est diffusée par Radio Monte-Carlo le 3 mai. Longtemps on a cru la bande détruite, il n'en était rien[N 16]. Après plusieurs démarches infructueuses pour faire vivre sur scène son adaptation du poème d'Apollinaire, Ferré verra son opiniâtreté récompensée en enregistrant l'oratorio sur disque en 1957.
Odéon lui alloue plus de moyens ; ainsi à l'automne 1954, pour l'enregistrement de son second 33 tours 25 cmLe Piano du pauvre, dont il signe tous les arrangements, pour la toute première fois, il dispose d'un grand orchestre qu'il dirige lui-même. Pour des raisons inconnues, cette expérience restera sans lendemain jusqu'en 1971[N 17].