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Armée d'un magnétophone et d'un stylo, Svetlana Alexievitch, avec une acuité, une attention et une fidélité uniques, s'acharne à garder vivante la mémoire de cette tragédie qu'a été l'URSS, à raconter la petite histoire d'une grande utopie. Le communisme avait un projet insensé : transformer l'homme ancien le vieil Adam. Et cela a marché. En soixante-dix ans et quelques, on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme un type d'homme particulier, l'Homo sovieticus. C'est lui qu'elle a étudié depuis son premier livre, [...] publié en 1985, cet homme rouge condamné à disparaître avec l'implosion de l'Union soviétique qui ne fut suivie d'aucun procès de Nuremberg malgré les millions de morts du régime. Dans ce magnifique requiem, l'auteur de La Supplication réinvente une forme littéraire polyphonique singulière, qui fait résonner les voix de centaines de témoins brisés. Des humiliés et des offensés, des gens bien, d'autres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant et, aujourd'hui, des citoyens résistant à l'instauration de nouvelles dictatures. Sa méthode : Je pose des questions non sur le socialisme, mais sur l'amour, la jalousie, l'enfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails d'une vie qui a disparu. C'est la seule façon d'insérer la catastrophe dans un cadre familier et d'essayer de raconter quelque chose. De deviner quelque chose... L'histoire ne s'intéresse qu'aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n'est pas l'usage de les laisser entrer dans l'histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne. A la fin subsiste cette interrogation lancinante : pourquoi un tel malheur ? Le malheur russe ? Impossible de se départir d
Svetlana Aleksievitch naît dans une famille d’enseignants de l'ouest de l'Ukraine, où s'est déroulée une partie de la guerre germano-soviétique. Son père est biélorusse et sa mère ukrainienne. Après la démobilisation de celui-ci en 1950, la famille retourne s'installer en Biélorussie à Mazyr. Sa famille a été fort éprouvée. La mère de son père meurt du typhus alors qu'elle est résistante. Sur trois de ses enfants, deux disparaissent pendant la guerre. Le père de Svetlana revient toutefois vivant du front. Le père de sa mère est tué au front[5]. Elle passe toutefois son enfance, avant la démobilisation de son père, dans un village ukrainien de l'oblast de Vinnytsia. Par la suite, durant de nombreuses périodes de vacances, elle retourne en Ukraine, chez sa grand-mère[6],[7].
Elle travaille d'abord comme éducatrice et comme professeure d'histoire et d'allemand dans une école du raïon de Mazyr, puis comme journaliste pour la revue biélorusse Pravda du Pripiat à Narowlia en Biélorussie, également dans le voblast de Homiel (Gomel en langue russe). Ce voblast est situé dans la région géographique de Polésie, le long de la frontière biélorusse avec l'Ukraine et à proximité de Tchernobyl. Il a été profondément contaminé par la catastrophe nucléaire.
En 1972, elle commence à travailler dans une revue locale à Biaroza dans le voblast de Brest. Entre 1973 et 1976, elle est journaliste auprès de la revue Selskaïa puis, de 1976 à 1984, dirige le département études et publications auprès de la revue des écrivains biélorusses Neman (en russe, « Нёман »).
Au début des années 2000, elle vit en Italie, en France, en Allemagne[10]. Depuis 2013 elle vit de nouveau en Biélorussie[11]. Parmi ses maîtres, elle reconnaît l'influence des écrivains biélorusses Ales Adamovitch et Vasil Bykov[12].
Son premier livre, Je suis partie du village, recueille des monologues d'habitants des villages biélorusses qui sont partis s'installer en ville. Le livre, prêt pour l'édition, est resté en attente avec une pile de livres au comité central du Parti communiste de Biélorussie[13]. En effet, selon les autorités, elle avait critiqué la politique de délivrance des passeports et avait montré son « incompréhension de la politique en matière agricole du parti »[14],[15].
Très critique à l'égard du « régime » d'Alexandre Loukachenko, Svetlana Aleksievitch s'est toujours systématiquement opposée à la politique du président de la Biélorussie. La maison d'édition qui éditait ses livres cesse de publier après l'arrivée au pouvoir de Loukachenko[16]. Elle critique en même temps les opposants au président qu'elle ne considère pas comme de vrais hommes politiques mais comme des « hommes de culture, des rêveurs, des romantiques »[17].
Lors d'une rencontre à Varsovie, le , pour la sortie de son livre Un temps de seconde-main[19], elle commente ainsi le conflit armé en Ukraine :
La littérature, dit-elle, « doit servir à écrire qu'il est nécessaire de tuer une idée, qu'il faut discuter, mais pas tuer les gens. » Puis elle rappelle les effusions de sang qu'ont connues ces hommes depuis 200 ans dont 150 en se battant. « Et tout cela pour ne jamais vivre bien. » Quant aux citoyens de l'espace post-soviétique « pendant 70 ans on les a trompés, puis pendant 20 ans encore on les a volés. » Le résultat c'est que sont apparus « des gens très agressifs et dangereux pour le monde » qui considèrent que la vie humaine a peu de valeur et que la grandeur de l'État prime la qualité de vie[20].
À propos de la censure dont elle fait l'objet, elle déclare en 2013 :
Lors de la conférence de presse du , jour de la remise du prix Nobel, elle déclare :
Cette réaction est due selon elle au fait que, à la suite de la situation provoquée par la Russie, « 86 % des gens ont été heureux de voir comment on tuait les gens à Donetsk, et riaient de ces “combats de coqs”[22]. »
Les livres de Svetlana Aleksievitch ont pour thème central la guerre et ses sédiments. Elle a consacré l'essentiel de son œuvre à transcrire les ères soviétique et post-soviétique dans l'intimité des anonymes qui les ont traversées.
Elle enregistre sur magnétophone les récits des personnes rencontrées, et collecte ainsi la matière dont elle tire ses livres :
Svetlana Aleksievitch a reçu de nombreux prix prestigieux pour son ouvrage La Supplication - Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse (1997) (dont le prix de la paix Erich-Maria-Remarque en 2001). Traduit dans une vingtaine de langues[26], ce livre reste cependant toujours interdit en Biélorussie. L'obtention du prix Nobel en octobre 2015 a toutefois donné à l'écrivaine une notoriété qui semble avoir modifié le comportement des instances à propos de cette interdiction[27].
Elle a aussi écrit La guerre n'a pas un visage de femme (1985), ouvrage retraçant par des entretiens le récit de femmes soldats de l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale ; puis Derniers témoins (1985) recueil de récits de femmes et d'hommes devenus adultes qui, enfants, ont connu la guerre et n'avaient que 4 à 14 ans durant la Grande Guerre patriotique ; Cercueils de zinc (1990), qui recueille des témoignages de Soviétiques ayant participé à la guerre soviéto-afghane ; Ensorcelés par la mort, récits (1995), sur les suicides de citoyens russes après la chute du communisme.
À la journaliste Anne Brunswic qui lui demande de comparer son travail à celui de la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa, Aleksievitch répond que Politovskaiä faisait un travail de journaliste sur la guerre de Tchétchénie notamment, sans chercher à en présenter une leçon de métaphysique mais en présentant les évènements sur lequel elle a investigué. C'est un travail extraordinaire, mais Aleksievitch considère qu'elle ne fait elle-même du journalisme que pour recueillir les matériaux puis en faire de la littérature. Quant à savoir pourquoi elle n'a pas écrit de livre sur la guerre en Tchétchénie, Aleksievitch explique que après ses trois premiers livres elle était épuisée, que la catastrophe de Tchernobyl lui a pris onze année de sa vie et que c'était trop[29].
Le poète bielorusse, Vladimir Nekliaev(en), analysant les traditions de la littérature de son pays dans l'œuvre d'Aleksievitch remarque que si toute la littérature russe est issue du récit de Gogol (le Manteau), l'œuvre d'Aleksievitch est quant à elle issue des ouvrages d'Ales Adamovitch et de celui de Vladimir Kolesnik(ru) « Je suis d'un village en feu ». Il se félicite que le mérite d'Aleksiévitch rendra possible une percée de la littérature bielorusse dans la littérature européenne[30].
La critique russe apprécie de différentes manières l'œuvre de Svetlana Aleksievitch. Certains la désignent comme « un maître de la prose documentaire artistique », d'autres caractérisent son œuvre comme du « journalisme spéculatif de tendance »[33],[34],[35],[36].
Le critique américain Alexandre Alter place Aleksievitch parmi des maîtres d'une prose documentaire et du roman à large diffusion, tels Truman Capote, Norman Mailer et Joan Didion[37].
Le sociologue suisse, Jean Rossiaud (sociologue au Centre d'écologie humaine de l'université de Genève remarquait en 2000 dans sa critique sur La Supplication, que l'auteure ne donnait pas vraiment d'appréciation sur la catastrophe de Tchernobyl et ne prononçait pas de condamnation, mais incitait le lecteur à travailler sur la mémoire collective qui subsiste de cette catastrophe au point de vue humain et social. Il considère la diffusion de ce livre d'Aleksievitch sur Tchernobyl comme une « obligation éthique »[38].
Des critiques et des universitaires français ont remis en cause la méthode de Svetlana Aleksievich, lui reprochant de dénaturer les témoignages qu'elle prétend rapporter objectivement et de tomber dans une forme de révisionnisme. Ainsi, Galia Ackerman et Frédérick Lemarchand, qui ont eu accès à une partie des entretiens enregistrés en amont de la rédaction des livres, mettent en lumière la réécriture et l’instrumentation de certains témoignages. « Une esthétique du témoignage est-elle possible sans éthique du témoignage ? », s’interrogent-ils, rappelant « les limites d’une littérature de témoignage qui ne serait pas fermement enracinée dans une perspective critique et historique »[39].
Yoann Barbereau souligne lui aussi certaines ambiguïtés : « A force de manier, on finit par remanier – seul le naïf pourra croire à un simple et inoffensif « découpage » à la lecture de la Fin de l’homme rouge. C’est bien de libre réécriture dont il s’agit, et d’une pratique qui prend le risque du révisionnisme le plus classique.» Exemples à l'appui, il reproche à Aleksievitch de reprendre des clichés sans recul ni nuance, et de conforter ainsi les lecteurs occidentaux dans leurs représentations caricaturales. « L'homo sovieticus dont elle veut tirer le portrait, qui la fascine tant – elle et ses lecteurs occidentaux –, n’est au départ qu’un bon mot, une blague potache – née, semble-t-il, dans l’émigration des années 1960 et faite pour railler les prétentions du régime soviétique à vouloir créer un homme nouveau. Quand l’auteur de la Fin de l’homme rouge prend l’affaire au sérieux, elle ne fait que perpétuer, de manière paradoxale, un mythe soviétique, en adoptant une terminologie qui tient littéralement de la caricature. La situation est digne des meilleurs films comiques de l’âge d’or du cinéma soviétique (d’ailleurs totalement absents du livre, alors même qu’aujourd’hui encore, en Russie, ils constituent un univers référentiel très important) ! »[40]
Le ministère des Affaires étrangères de Biélorussie a salué la décision du comité du prix Nobel d'attribuer le prix de littérature en 2015 à Svetlana Aleksievitch. Il a ajouté que c'était le premier prix Nobel attribué à une citoyenne de la Biélorussie indépendante et souveraine et que ce prix entrera dans l'histoire de la formation de la nation biélorusse et de son État[41]. Alexandre Loukachenko, dans son message de félicitation au prix Nobel, a souligné que l'œuvre de Svetlana Aleksievitch ne laissera indifférents ni les Biélorusses ni les nombreux lecteurs de beaucoup de pays du monde[42]. Les œuvres d'Aleksievitch sont publiées dans son pays depuis 1993[43].
Dans la malle laissée par sa grand-mère Maroussia avant sa mort, Nora découvre des lettres échangées avec son grand-père, Jacob. Féministe avant la révolution, danseuse artistique et communiste ardente, la belle Maroussia a ses propres convictions intellectuelles. Mais les rêves et les ambitions du jeune couple croulent sous le poids de l'histoire soviétique. Et quand Jacob est relégué en Sibérie pour sabotage, même son fils, le père de Nora, lui tourne le dos. Le destin du grand amour de ses grands-parents ne reflète cependant [...] que le début des événements qui marqueront la vie de Nora. Scénographe passionnée et assoiffée de liberté, elle choisit elle-même ses amants et ses projets, élève son fils seule et découvre peu à peu la puissance de ces liens avec ses proches. Sur les traces de la correspondance de ses propres grands-parents, Ludmila Oulitskaïa conte avec autant de tendresse que d'ironie mélancolique les hauts et les bas, la grande et la petite histoire de quatre générations d'une famille, tout en décrivant délibérément ce XXe siècle russe comme celui des femmes.
453 pages - texte inachevé publié à titre posthume Bon état Couv. convenable Intérieur frais In-12 Carré Broché traduction de Sophie Benech / préface de Linda Lê